Jacqueline Romano-Toramanian : doyenne de l'AQPERE
Une semaine après son arrivée à Montréal, le bureau de l’immigration lui trouve un boulot de secrétaire qui se transformera un an plus tard en boulot de comptable. Pas assez pour elle… Munie de son bac 2e partie français qu’elle a obtenu en Égypte (équivalent de deux ans de CÉGEP), Jacqueline entreprend des études à l’école normale pour devenir enseignante, rêve qu’elle caressait depuis qu’elle avait l’âge de 12 ans. Embauchée par la Commission scolaire de Montréal (CSDM) comme enseignante au primaire, elle décide de poursuivre ses études en cours du soir pour un bac spécialisé qui l’amèneront à l’obtention d’une maîtrise en psycho et sociolinguistique à l’UQAM. Après six ans comme enseignante dans la même école, Jacqueline devient conseillère pédagogique en anglais langue seconde et, par la suite, en français.
Fonceuse, Jacqueline s’est impliquée et a mis la main à la pâte pour faire avancer de nombreux projets. Elle se définit comme une conseillère pédagogique atypique : « Je pense qu’on peut dire que je suis un peu délinquante, mais je le vois plutôt comme une volonté, même comme une soif de sortir des sentiers battus, d’explorer de nouvelles pistes, d’innover ! Je fonce, parfois je bulldoze jusqu’à ce qu’on me dise STOP ! », avoue-t-elle en riant.
Découvrez avec nous le parcours de Jacqueline en éducation relative à l’environnement.
Y a-t-il un ou des projets dont vous êtes particulièrement fière ?
Quand j’étais conseillère pédagogique en anglais, j’ai fondé avec l’aide de six enseignants et enseignantes du primaire et du secondaire le premier centre des enseignants au Québec, Carrefour, qui a compté à son actif neuf mini-colloques organisés par et pour les enseignants. Ce centre avait deux volets. Un volet de développement personnel qui s’adressait à tous les enseignants de la CSDM parce que j’ai la conviction qu’un enseignant est d’abord une personne humaine qui doit trouver son accomplissement tant dans sa vie personnelle que professionnelle. Et un deuxième volet pour l’anglais langue seconde, mise en commun des bons coups des professeurs. Ce partage d’expériences et d’activités didactiques et méthodologiques permettait à chaque enseignant de se reconnaitre et de se sentir nourri par le vécu des autres.
Le volet développement personnel me tenait particulièrement à cœur. Carrefour était non seulement une innovation, mais permettait aussi de développer une approche holistique de l’enseignement. Il m’apparait important que l’enseignant ne se voie pas uniquement comme le transmetteur d’une discipline donnée, mais qu’il se voit comme faisant partie intrinsèque de la nature, du cosmos, de la biodiversité. Par conséquent, nous devons apprendre à vivre en harmonie avec cette terre qui nous nourrit, cette eau que nous buvons, cet air que nous respirons. Chaque personne fait partie d’un écosystème bien plus grand qui nous amène à prendre autant soin de nous que de la nature.
En 1993, j’ai fait partie d’une délégation de 20 enseignants et enseignantes qui venaient de tout le Canada pour se rendre au Costa Rica. Ce voyage organisé par le Centre de recherche pour le développement international avait pour but de visiter des projets en éducation, agriculture, biodiversité et des projets relevant de la culture du pays.
Parmi les nombreuses visites que nous avons faites, la visite de la plantation de bananes Doyle a été déterminante pour moi. Elle m’a fait voir combien l’action citoyenne est importante. Nous avons été mis en contact avec des scientifiques qui nous ont expliqué que les arrosages de produits chimiques très puissants ainsi que l’ajout des sacs de plastique bleus autour des régimes de bananes avaient créé de nombreux dommages sur le plan écologique : perturbation des écosystèmes, contamination des cours d’eau et rivières qui se trouvaient à proximité et dans lesquels se retrouvaient ensuite les sacs de plastique bleus ainsi que la corde qui les maintenait. Ce qui avait pour effet de contaminer les enfants qui se baignaient dans cette rivière ainsi que les poissons.
Quel a été le catalyseur de votre engagement en éducation relative à l’environnement ?
Je suis impliquée dans le Mouvement des Établissements verts Brundtland (EVB-CSQ) depuis leur création au début des années 90. Les valeurs qu’ils véhiculent, autant en lien avec l’environnement qu’avec l’écocitoyenneté, rejoignent les miennes. C’est pour cette raison qu’avec l’aide des enseignants j’ai formé un comité environnement qui a ensuite amené l’école à joindre le mouvement EVB. J’ai travaillé dans de nombreuses écoles au cours de ma carrière et je suis fière de dire que dans six écoles où j’étais conseillère pédagogique j’ai réussi à les aider à former un comité environnement et à monter des projets respectant les quatre valeurs EVB : soit l’écologie, le pacifisme, la solidarité et la démocratie. Projets qui leur ont valu la reconnaissance d’Établissements Verts Brundtland !
Et je n’ai pas pris ma retraite pour autant à la retraite ! Je fais maintenant partie du comité des retraités Brundtland (EVB-CSQ). À ce titre, je donne des formations aux enseignants sur l’utilisation des trousses éducatives créées par le mouvement EVB-CSQ et, parfois, j’ai le bonheur d’essayer en classe certaines activités avec les élèves.
Racontez-nous vos expériences de représentations du Québec dans des évènements internationaux ?
J’ai participé à tous les forums de Planet’ERE à l’exception de la première édition qui a vu le jour au Québec. Le 1 er Forum Planet’ERE a été réalisé par la CSQ (la CEQ) a l'époque, un rassemblement international en éducation relative à l’environnement et l'AQPERE a étroitement collaboré aux éditions suivantes qui se sont déroulées, en France, au Burkina Faso, au Cameroun et Maroc. J’adore ce type d’évènements qui permettent de partager nos expériences québécoises et d’en apprendre de celles des autres.
Un autre voyage qui m’a beaucoup marqué, étant donné le génocide perpétré par les Hutus sur les Tutsis en 1994, est celui que j’ai fait au Rwanda en 2006. J’étais invitée par l’Université de Trenton, qui s’est associée à l’Université du Québec à Rimouski, à faire partie de la délégation québécoise qui participait à un congrès. Étant donné qu’une des valeurs des établissements Brundtland est le pacifisme, ma présentation portait spécifiquement sur la façon dont cette valeur se concrétise et s’incarne dans le quotidien de nos écoles primaires et secondaires du Québec.
J’ai aussi fait partie de la délégation du Québec à la COP21 qui se déroulait à Paris en 2015. Cet évènement qui a réussi à mobiliser des chefs et des ministres de 196 pays se concentrait sur les actions à prendre pour lutter contre les changements climatiques. Cela a été un moment décisif dans mon engagement sur les problématiques et les enjeux environnementaux !
Que s’est-il passé ?
La COP21 avait lieu juste après les attentats du Bataclan du 13 novembre 2015 à Paris qui ont fait 130 morts et plus de 400 blessés. Dans ce contexte, nous ne savions pas comment la COP21 allait se dérouler. Allions-nous pouvoir manifester pour exercer une pression sur les chefs d’État et les exhorter à agir de façon efficace pour limiter les effets des changements climatiques ?
Cette manifestation a donc agi comme un coup de fouet ?
Ç’a été une prise de conscience puissante ! J’ai réalisé que c’était à nous de jouer puisqu’il n’y avait rien de contraignant pour les chefs d’État s’ils ne respectaient pas leurs engagements de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Personne ne viendrait leur taper sur les doigts. J’étais convaincue et je le suis encore que c’est la mobilisation citoyenne qui fera toute la différence, qui exercera une pression assez forte sur nos gouvernements pour leur donner la légitimité d’agir et de prendre les bonnes décisions face aux puissants lobbies auxquels ils font face.
Il m’est apparu évident que nous avons tout un chacun une responsabilité citoyenne individuelle et collective. Nous avons le devoir et le privilège de voter, donc c’est nous qui avons le pouvoir ultimement. Depuis ce temps, je fais la promotion de l’action citoyenne dans toutes les sphères de la société. Je crois qu’il est essentiel d’avoir des citoyens qui s’engagent.
D’après vous qu’est-ce que cela prendrait pour y arriver ?
Cela passe nécessairement par l’éducation : l’éducation à l’environnement et à l’écocitoyenneté, que l’on parle d’éducation formelle (sanctionnée), non-formelle, (donnée par divers organismes tels que Les amis de la montagne, Oxfam, les écoquartiers…), et enfin et non la moindre, celle informelle qui requiert la plus belle qualité au monde, la curiosité, qualité que tout le monde devrait avoir dans son ADN. C’est le chemin vers l’autodidaxie. Ce que l’on apprend au hasard d’une lecture, d’une conférence, d’un film, d’un documentaire, d’une conversation, d’une pièce de théâtre… C’est une qualité qui nous fait sortir des sentiers battus, prendre des risques, aller à la rencontre de l’autre.
C’est-tu pas beau cette expression : aller à la rencontre de l’autre ! Il me semble que si on la mettait en pratique, on aurait moins de violence, moins de guerres, moins de racisme, de préjugés, moins d’homophobie. On se rendrait compte que nous passons tous par les mêmes émotions, les mêmes deuils, les mêmes préoccupations.
Oh là là ! Je deviens vraiment un peu trop lyrique !
Revenons à la COP21. Je cherche à transmettre ce coup de fouet tout autour de moi. Je crois toutefois que chacun doit aller à son rythme. Il ne faut pas culpabiliser, mais surtout susciter la réflexion, le jugement critique et la remise en question de nos habitudes de production et de consommation. Moi-même, je ne suis pas parfaite et il faut prêcher par l’exemple. Nous avons les preuves scientifiques sur les effets des changements climatiques sur notre santé, sur la biodiversité. Il nous faut développer une conscience globale. C’est à nous d’agir individuellement et collectivement.
Pour finir, avez-vous un souhait à formuler ?
La question des enjeux environnementaux est une question transversale qui concerne tout le monde, tous nos ministères et non pas seulement le ministère de l’Environnement et du Développement durable. Elle concerne tout autant le ministère de la Santé, de l’Agriculture, de l’Éducation, des Forêts, de la Faune et des Parcs, de la Justice, de l’Énergie et des Ressources naturelles, des Relations Internationales et de la Francophonie ainsi que des Finances. Or, on a l’impression qu’ils travaillent en silo. Cependant, ils sont on ne peut plus interdépendants.
Je souhaite qu’ils travaillent ensemble et surtout que les premiers ministres voient à ce que leurs ministres et tous les députés élus reçoivent une bonne formation sur les questions touchant à l’environnement et aux changements climatiques. Ce qui, hélas, n’est pas le cas. Étant donné la gravité des enjeux, on ne peut se permettre de faire l’économie d’une telle formation.
Et, que vous réservez-nous pour les prochains mois ?
Je continue à m’impliquer à l’AQPERE. Je comptais aussi me rendre à la COP 26 qui aura lieu à Glasgow, en Écosse en novembre 2020 avec une délégation québécoise. Cet évènement sera très important, car il s’agira pour les États d’une reddition des comptes — l’échéance des engagements pris en 2015 lors de la COP21. Avec la crise sanitaire planétaire actuelle, je ne sais pas si cet évènement aura lieu. Mais comptez sur moi pour suivre le dossier de près !
Elle a rédigé Voyage au cœur des EVB-CSQ, un guide des pratiques écocitoyennes au sein des établissements d’enseignement primaire et secondaire au Québec, un projet financé par l’AQPERE pour le mouvement des Établissements verts Brundtland (EVB-CSQ).